Quand la théorie rejoint la pratique  

Cet article présente une démarche qui se veut baser sur la situation d'un élève qui présente des difficultés et sur la recherche de moyens d'action. 

À la session d'automne 2014, j'ai suivi le cours à distance EDU1014 qui m'a permis d'explorer la psychologie du développement de l'enfant à l'école primaire. Ce cours m'a amené à détailler la situation d'un élève en difficulté afin d'en cibler les principales composantes dans le but de trouver des moyens efficaces de l'amener à cheminer tout en respectant son développement global. Voici ce travail. Bonne lecture! 

Présentation de l’élève

 Le cas choisi dans le cadre de ce travail est celui de Benjamin âgé de onze ans. Il s'agit d'un cas réel même si les noms sont fictifs. Benjamin vient tout juste d’aménager avec sa mère et le copain de cette dernière dans un tout petit village en campagne. Partant de la grande ville de Montréal, le changement est tout de même assez drastique. La famille de Benjamin en est une de « souche », mais démunie et dysfonctionnelle. Depuis qu’il est jeune, beaucoup de conflits surgissent à la maison et il est un habitué des déménagements. La séparation difficile et définitive de ses parents a ébranlé le jeune élève. Le père de Benjamin vit toujours dans la métropole et il ne voit pas son fils, car c’est ce qui a été décrété par la cour. La mère de Benjamin a choisi de déménager chez son tout nouveau conjoint, car elle n’arrivait pas à subvenir aux besoins de son enfant. Elle est très démunie. N’ayant pas terminé son secondaire et n’ayant jamais eu d’emploi, elle est prestataire de l’aide sociale et elle arrive difficilement à prendre soin d’elle-même. Benjamin se retrouve alors à s’occuper régulièrement de lui-même, son beau-père étant souvent à l’extérieur pour son travail. La psychologue de l’école a déterminé que le type d’attachement de Benjamin était l’attachement insécurisant ambivalent.


Le jeune garçon est en cinquième année du primaire. Il fréquente une petite école qui accueille une centaine d’élèves. Vu le peu d’élèves fréquentant l’école, plusieurs niveaux sont jumelés, ce qui fait en sorte qu’il se retrouve dans la classe de cinquième année comportant dix-neuf élèves. Il a eu la chance d’atterrir à la mi-octobre dans la classe de madame Sophia, une enseignante au grand cœur, humaniste et passionnée.


Même s’il est arrivé en classe depuis deux mois déjà, Benjamin a peu d’amis à l’école. Il reste souvent en retrait et il a de la difficulté à aller vers les autres. Ses notes scolaires passent le seuil de réussite. Il a de la difficulté à prendre des initiatives et il a constamment besoin de l’appui et de l’approbation de l’enseignante pour réaliser une tâche même peu complexe. Benjamin a un esprit vif et il est très articulé pour un élève de son âge. Il peut comprendre rapidement une notion lorsqu’il s’implique dans ses apprentissages. Un test de QI a d’ailleurs révélé chez lui une intelligence au-dessus de la moyenne. Aussi, son enseignante lui propose des défis qui lui conviennent et qui le motivent.


Dans le cadre de ce travail, la dimension du développement qui sera exploitée est celle de son développement socioaffectif. Le milieu familial difficile de Benjamin a un impact sur son développement puisque la famille est sa référence première. Ainsi, je m’intéresserai au développement socioaffectif de Benjamin en me basant sur son milieu de vie familial, ses besoins, sa perception de lui-même ainsi que sur ses rapports avec les autres élèves et son enseignante.

 

Les facteurs de risque

 

Facteurs environnementaux

Des facteurs de risque pouvant être une problématique pour le bon développement socioaffectif de Benjamin sont présents dans son environnement. Tout d’abord, le milieu et la situation familiale de Benjamin font partie intégrante de ces facteurs de risque. En effet, le jeune élève évolue dans un milieu familial instable, insécurisant et précaire. Selon Steve Bissonnette, professeur et psychoéducateur, le milieu familial et le style parental ont un impact sur le développement socioaffectif des enfants. Une des dimensions à considérer est celle de la précarité financière. En effet, il affirme que  la dimension socioéconomique a influencé les familles de façon majeure… si,   par exemple, l’emploi des parents est un emploi qui est précaire, qui peut tomber    rapidement, c’est clair que ça va influencer, d’une part, la dynamique familiale et probablement les comportements des enfants. (TÉLUQ, 2013)

 

Comme la mère de Benjamin a peu de revenus et qu’elle vit dans une situation financière précaire, cela occasionne certainement des répercussions sur son fils telles que l’incertitude, le stress, l’angoisse et l’anxiété.

 

En plus de la précarité financière, la famille de Benjamin a peu de ressources pour s’occuper de lui et le style d’autorité parentale est de type « laisser-faire ». Or, cela fait en sorte de le laisser souvent seul pour s’occuper de lui-même. Selon Steve Bissonnette, professeur et psychoéducateur, ce type d’autorité est dommageable pour l’enfant puisqu’il n’a pas de point de repère, de règles et de limites préétablies à ne pas franchir (TÉLUQ, 2013). Benjamin est libre de faire ce qu’il veut sans aucune contrainte. L’encadrement déficient dont il bénéficie fait en sorte qu’il évolue dans un environnement instable où il est peu sinon pas stimulé par ses parents. Ces éléments environnementaux sont des facteurs de risque considérables qui ont un grand impact dans le développement socioaffectif de Benjamin.

 

 Un autre facteur de risque pour le bon développement de la dimension socioaffective de Benjamin est dû à son environnement familial. Bien que Benjamin soit un garçon débrouillard, il doit souvent organiser lui-même ses repas, surtout ses déjeuners, ce qui a un impact sur sa santé et ses habitudes de vie. Il arrive que Benjamin se présente à l’école le ventre vide en matinée parce qu’il n’a pas pris de déjeuner convenable. Or, cet aspect a un impact sur  son développement puisque : «  Lorsque, dans une classe, le facteur de risque est la pauvreté du milieu où évoluent les enfants, qui ne déjeunent pas toujours correctement le matin, ceux-ci peuvent éprouver des problèmes de concentration et d’attention limitant leurs performances scolaires » (TELUQ, 2014).  Cette composante peut avoir un impact sur le rendement scolaire de Benjamin puisqu’il n’arrive pas complètement disposé aux nouveaux apprentissages.

 

Benjamin a onze ans et il entre progressivement dans l’adolescence. Selon la théorie d’Erikson, le jeune de cet âge entre progressivement dans le stade du travail ou de l’infériorité (Erikson, 1972 reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.336). Pendant cette période, Benjamin vit beaucoup de changements psychologiques et un désir de distanciation avec ses parents se fait sentir. Or, Benjamin n’a pas évolué dans un milieu stable et encadrant. Cette composante fait en sorte qu’il a de la difficulté à être moins dépendants des adultes. Comme mentionné précédemment, Benjamin a de la difficulté à réaliser une tâche sans l’appui constant de son enseignante. Il doute de lui-même et il a besoin d’être constamment rassuré et appuyé. Gauthier et al. mentionne que les jeunes ayant un type d’attachement insécurisant ambivalent ont tendance à « davantage rechercher l’attention des adultes comme base de sécurité pour se valider » (Gauthier et al., 2009, reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.340). Cette composante est un risque considérable pour le bon développement de Benjamin puisqu’il n’a pas développé une bonne estime de lui-même et cela fait en sorte qu’il doute toujours de ses capacités. Selon Bélanger et al., « Le sentiment de confiance en soi qui a été mis en place grâce à l’attachement sécurisant favorise les relations harmonieuses avec les autres, l’estime de soi et les habiletés sociales » (Bélanger et al., 2006 reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.158). Or, le type d’attachement de Benjamin peut être considéré comme insécurisant ce qui fait en sorte qu’il a de la difficulté à établir des relations harmonieuses avec les autres et à avoir une bonne estime de lui-même. Cette composante met en lumière que Benjamin n’a pas eu un développement socioaffectif adéquat dans son milieu familial. Cet aspect fait en sorte qu’il n’a pas une estime de soi adéquate et qu’il a de la difficulté à établir des relations avec ses pairs et son enseignante.

 

 

Facteurs de protection

Outre les facteurs de risque, des facteurs de protection sont également présents dans le portrait du développement de Benjamin.


Un premier facteur de protection qui soutient Benjamin dans son développement relève de la dimension cognitive. Bien que cet aspect ne relève pas de la dimension socioaffective, il a certainement un grand rôle à jouer dans les facteurs de protection qui soutiennent Benjamin dans son développement.  Comme mentionné précédemment, Benjamin est intelligent et vif d’esprit. Il comprend rapidement une notion lorsqu’il est motivé et intéressé par les tâches proposées. Des tests réalisés par la psychologue de l’école révèlent que Benjamin a un quotient intellectuel  d’approximativement 120. Ce résultat le classe parmi les élèves talentueux sans parler de douance (Parent et Cloutier, 2009, p.218). Benjamin a donc de bonnes capacités d’apprentissages qui agissent comme un facteur de protection dans son développement. L’absence de troubles d’apprentissage avantage considérablement l’élève et le prédispose à vivre des réussites scolaires.


L’environnement scolaire de Benjamin est un facteur de protection important pour lui. En effet, il est dans une classe jumelée dont l’enseignante est très attentive aux besoins de ses élèves. Cette dernière met en place plusieurs pratiques qui soutiennent le développement socioaffectif de l’élève. En effet, Sophia amène Benjamin à faire des progrès en l’encourageant et en l’appuyant. D’ailleurs, « il est important que les enseignantes et les éducatrices mettent d’abord l’accent sur les forces du jeune  » (Gueyard et Dassa, 1998 ; Martinot, 2001 reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.371)  afin de bien le soutenir dans développement. Afin de souligner les forces de Benjamin, Sophia a instauré un système de motivation qui fait en sorte de mettre l’accent sur les bons coups des élèves en classe. Ainsi, elle utilise du renforcement positif, ce qui est très favorable pour Benjamin puisque « l’utilisation du renforcement positif favorise, entre autres, la curiosité intellectuelle et l’estime de soi agissant ainsi sur la manière dont le jeune se perçoit » (Bee et Boyd, 2008 ; Gueyard et Dassa, 1998, reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.336).

 

Comme mentionné précédemment, Sophia  amène ses élèves à relever des défis qui sont à la hauteur de leurs capacités. En agissant de la sorte, elle favorise leur estime de soi et leur concept de soi puisque ses demandes sont réalistes et réalisables. (Gueyard et Dassa, 1998).  Alors, bien que Benjamin n’ait pas tout le soutien nécessaire à la maison, l’école est un lieu qui lui offre la chance d’accroitre l’estime qu’il a de lui-même en soulignant ses forces.

 

Tendance développementale normale

En regard avec la situation de Benjamin en tenant compte des facteurs de risque ainsi que des facteurs de protection qui influencent son développement, il est possible d’affirmer que Benjamin doit relever plusieurs défis pour que sa dimension socioaffective se développe correctement.

 

Comme mentionné maintes fois auparavant, la situation familiale de Benjamin est précaire et instable. Cette situation  familiale a nécessairement laissé des séquelles dans son développement socioaffectif. La théorie de la pyramide des besoins de Maslow peut mettre en lumière les difficultés de Benjamin à bien se développer au plan socioaffectif. Dans les faits, la pyramide de Maslow établit une hiérarchie des besoins chez l’être humain. Ce modèle « vise à représenter l’idée selon laquelle un type de besoins donné ne peut être satisfait que dans la mesure où celui qui lui sert de base l’a d’abord été » (Cloutier et Parent, 2009, p.273). La pyramide peut être subdivisée en deux sections soit les besoins fondamentaux qui incluent les besoins physiologiques et ceux liés à la sécurité. La seconde partie de la pyramide est constituée des besoins de croissance personnelle qui touchent les besoins liés à l’appartenance et l’amour, l’estime de soi et l’actualisation de soi (Maslow, 1943). Évidemment, les besoins se trouvant à la base de la pyramide doivent être comblés avant que les autres puissent l’être également.

 

Dans la situation de Benjamin, il est possible de constater que la précarité de son environnement fait en sorte que ses besoins fondamentaux ne sont pas complètement comblés. Si les besoins physiologiques tels que boire, manger, se loger et dormir sont comblés, les besoins liés à la sécurité le sont partiellement.

 

En effet, Benjamin est souvent laissé à lui-même et il est peu encadré par sa mère. Il doit se débrouiller seul dans une situation instable et insécurisante dans laquelle il vit beaucoup de stress et d’inquiétudes. Cette insécurité ne place pas Benjamin en situation de pleine confiance et de bien-être. Des lacunes sont donc présentes au niveau des besoins fondamentaux et « ce n’est qu’une fois les besoins fondamentaux satisfaits que la priorité se déplace vers les besoins de croissance personnelle visant le plein développement de l’organisme en tant qu’être humain » (Cloutier et Parent, 2009, p.274). Il est difficile pour l’élève d’avoir une croissance personnelle adéquate dans ses conditions puisque les besoins primaires n’ont pas été comblés d’une façon satisfaisante. Toutefois, il faut noter « qu’un individu peut émettre un comportement associé à un besoin, alors que les besoins précédents n’ont pas été totalement satisfaits » (Cloutier et Parent, 2009, p.274). Le développement des autres composantes sera toutefois plus ardu puisqu’il faut tenir compte des besoins premiers.

 

Malgré sa situation précaire, Benjamin devra faire face à des défis de taille relatifs à son âge et la période dans laquelle il se trouve. Selon la théorie d’Erikson, le jeune âgé entre 10 et 12 ans entre progressivement dans le stade du travail ou de l’infériorité. Stade au cours duquel plusieurs changements psychologiques surviennent. (Erikson, 1972 reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.336). Pendant ce stade, l’enfant a comme défi de « développer une identité qui lui est propre ». (Erikson, 1972 reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.336).  Cette étape permet « au jeune de consolider son concept de soi en toute unicité » (Bouchard et Fréchette, 2011, p.336)  en créant, en autre, une distanciation avec ses parents. Or, la situation familiale de Benjamin a laissé des séquelles dans son développement et il aura de la difficulté à développer une image positive de lui-même puisque ses parents ne représentent pas la sécurité pour lui. Cette période marque « la consolidation du sentiment de compétence ou d’infériorité qui a été mis en place entre 6 et 9 ans » (Erikson, 1994 reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.334). L’attachement insécurisant ambivalent de Benjamin a un impact considérable dans la construction de son identité. Selon Cloutier, ce type d’attachement rend plus difficiles ses interactions sociales avec ses pairs puisqu’il a un sentiment d’infériorité qui a un impact négatif sur son estime de lui-même. (Cloutier, 2005, reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.335).

 

Le peu d’estime qu’à Benjamin envers lui-même l’empêche d’aller vers les autres et de développer de nouvelles amitiés. Comme il a vécu peu d’expériences positives à ce niveau, son sentiment de compétence est peu développé et il doute de lui-même. Il préfère ne pas tenter de créer de nouvelles amitiés par peur d’échec et de rejet. Or, c’est en surmontant les échecs que Benjamin améliorera sa situation. En effet, selon Bouchard et Fréchette, les difficultés éprouvées sur le plan socioaffectif renforcent le sentiment d’incompétence et d’infériorité de l’élève (Bouchard et Fréchette, 2001, p.335). Ce sont les expériences positives qui permettent à l’élève de changer la perception qu’il a de lui-même. Or, si personne n’amène Benjamin à surmonter son sentiment d’infériorité, il sera difficile pour lui de tenter de développer de nouvelles amitiés et par le fait même d’augmenter son sentiment de compétence et conséquemment son estime de lui-même.

 

Le milieu scolaire peut amener l’élève à développer son sentiment de compétence. En effet, il faut noter que « le milieu scolaire est un agent important pour cette consolidation. En effet, il peut être une très grande source de valorisation pour les jeunes et leur offrir de multiples occasions de développer son sentiment de compétence » (Gauthier, Fortin et Jeliu, 2009 ; Martinot, 2001 reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.334). Le sentiment d’infériorité peut être modifié en motivant et valorisant l’enfant par des expériences positives et agréables (Cloutier, 2005, reprit par Bouchard et Fréchette, 2011, p.335).  Le rôle de l’enseignante est donc primordial et plusieurs moyens doivent être mis en place pour faire vivre des expériences positives à l’élève.

 

Benjamin a donc encore des chances de bien développer sa dimension socioaffective. En ce qui concerne le développement « normal », il faut demeurer réaliste et considérer que tout le parcours de Benjamin ne peut être effacé. Sa situation familiale difficile a eu un impact considérable sur son développement socioaffectif puisque le rôle et le soutien des parents sont primordiaux dans le développement de cette dimension. Benjamin aura nécessairement de la difficulté avec cette dimension de son développement. Son bon environnement scolaire peut avoir un impact sur son bon développement socioaffectif. Comme l’enseignante de Benjamin l’amène à développer son estime de soi par du renforcement positif en le motivant et que les capacités scolaires (QI) du jeune homme sont relativement élevées, il est possible que Benjamin développe progressivement et convenablement sa dimension socioaffective. 

 

Bref, en regard avec tous les éléments mentionnés précédemment, il ne faut pas s’attendre à un développement parfaitement normal de la dimension socioaffective de Benjamin, mais bien progressive qui respectera son rythme et qui variera selon les diverses interventions mises en place dans le milieu scolaire et l’état de sa motivation. 

Pour en savoir plus...

Pour en savoir davantage, vous pouvez consulter le site internet du cours EDU1014 qui offre des outils impressionnants sur la psychologie du développement de l'enfant d'âge primaire.


http://edu1014.teluq.ca/accueil/mot-bienvenue/ 

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